“Lapidaire secret des soirs quotidiens,
Taille tes souvenirs en pierres précieuses,
Et fais-en pour tes doigts des bijoux anciens.”
SAMAIN Albert, Retraite
Les gemmes, foyers de tous les désirs et de tous les mystères forment depuis les temps anciens des spécimens emblématiques d’une époque. Objets de fascination, de croyances mais aussi de superstitions, synonymes de richesse, de rareté et de beauté, ces phénomènes géologiques connaissent encore aujourd’hui une vive émulation. Si de nombreux ouvrages se consacrent à la gemmologie, cette science des gemmes reste encore peu connue du grand public et ses définitions demandent à être explicitées.
L’appellation « pierres précieuses » désigne le diamant, le rubis, le saphir et l’émeraude. Toutes les autres pierres sont dites « fines ». L’expression « pierres semi-précieuses » encore employée par certains professionnels est pourtant obsolète et rigoureusement interdite par le décret du 14 Janvier 2002 relatif au commerce des pierres gemmes et des perles. L’ambre, le corail, le jais, le copal, la nacre ou encore les perles sont décrites pour leur part comme des « matières organiques ».
Cet éclaircissement établi, découvrons ensemble quelques-unes de leurs mille et une facettes.
La gemmologie, une science ancienne
Si l’étude des gemmes s’est principalement développée au siècle des lumières, l’intérêt pour les pierres se forme dès l’antiquité. Entremêlés de vérités géologiques et de légendes pittoresques, les récits de Théophraste et de Pline énoncent les diverses caractéristiques et propriétés du diamant, déjà connu en occident depuis le IIIe siècle avant JC.
Le moyen-âge délaisse l’aspect scientifique des gemmes pour accorder à ces joyaux terrestres des vertus médicinales et magiques. Les lapidaires[1] de cette époque introduisent une manière prophylactique[2] de penser les pierres. Ainsi naît la lapidothérapie, aujourd’hui à l’origine de ce que l’on nomme la lithothérapie. (Ill.1). C’est au XVIIIe siècle que se développe un véritable attrait pour les sciences naturelles et physiques. L’intérêt culmine avec les recherches du physicien et minéralogiste Jean-Baptiste Romé de L’Isle. Science en vogue grâce à l’édition du Traité de Minéralogie de René Juste Haüy en 1801, la gemmologie connaît durant tout le XIXe siècle une large diffusion qui se perpétue encore aujourd’hui.
[1] Traités sur les pierres précieuses
[2] Qui prévient la maladie
L’art de l’imitation
Les pierres gemmes attirent et fascinent. C’est pourquoi l’homme a depuis de nombreux siècles cherché à en faire des imitations. Les premières copies de pierres naturelles datent de l’antiquité. À Rome, la présence de fabriques de pierres en verre sous l’Empereur Néron atteste d’un véritable savoir-faire dans l’art de la contrefaçon. La grande ferveur des fausses gemmes atteint ensuite le XVIIIe siècle. Les avancées scientifiques permettent au chimiste et maître joaillier Georges Frédéric Strass l’invention du « Strass », un verre au plomb très brillant imitant le diamant dont l’emploi est toujours d’actualité pour la bijouterie fantaisie. Durant le XIXe siècle, l’industrie des fausses pierres se normalise. Les pierres en doublets connues depuis le XVe siècle et obtenues par assemblage d’une gemme sur un verre coloré se standardisent grâce à un procédé d’invention moderne. Mais l’imitation des pierres ne s’arrête pas là.
Les avancées en cristallographie permettent la mise en place des premières synthèses de pierres. Émeraude, rubis, et diamant sont ainsi synthétisés dans le dernier quart du XIXe siècle. Les pierres synthétiques possèdent les mêmes propriétés chimiques et physiques que les pierres naturelles. Leur commercialisation à partir de 1904 pour les rubis, puis 1910 pour les saphirs provoque une véritable controverse dans le monde de la joaillerie. Aujourd’hui, la perfection atteinte dans la synthétisation des gemmes demande de faire appel à de véritables spécialistes.
L’art de la taille
Nommé « Adamas », l’indomptable, par les grecs qui ne savaient pas le tailler, le diamant s’évalue aujourd’hui grâce à quatre critères : le poids en carat, la couleur, la clarté et la taille. Alors comment dompte-t-on l’indomptable ? L’art du lapidaire consiste à tailler et polir les pierres de manière à leur donner la forme la plus agréable et la plus avantageuse au développement de l’éclat qu’elles sont susceptibles d’acquérir. Si l’art de tailler les gemmes remonte aux temps anciens, il faut attendre le moyen-âge pour voir apparaître les premiers essais de taille de diamant. « Pointes naïves », taille « écu » et taille « rose » sont alors en vogue durant le XVe et XVIe siècle (Ill.3-4). Mais ces techniques mises en place ne favorisent que peu les jeux de lumière de la pierre.
En 1465, le brugeois Louis de Berquem invente la taille 16/16. Composée de 33 facettes, cette taille permet alors au diamant de mieux refléter la lumière. En France, la véritable impulsion s’effectue sous le mécénat du premier ministre Mazarin. Agencée en 34 facettes, la taille « Mazarin » de forme coussin aux coins arrondis s’impose comme une taille intermédiaire entre les tailles anciennes et les tailles modernes à venir. Quelques années plus tard en 1681, un lapidaire vénitien connu sous le nom de Vincenzo Peruzzi s’inspire de la taille « Mazarin » et invente la taille dite « Peruzzi » comprenant 58 facettes. Il faut finalement attendre 1919 pour voir apparaître la définition des proportions idéales d’un diamant. Dans son projet de taille brillant moderne, le diamantaire Marcel Tolkowsky conserve les 58 facettes de la taille « Peruzzi » mais va plus loin dans la recherche d’une parfaite régularité, dans la symétrie des facettes ainsi que dans la recherche d’un maximum d’éclat et de brillance. Depuis 1978, L’international Diamond Council a fixé les normes de la taille brillant afin de donner au diamant sa réflexion la plus parfaite. (Ill.5)
Le charme de l’ancien
Si la taille de la pierre fait ressortir toutes les qualités de celle-ci, elle est par ailleurs le seul critère qui résulte du savoir-faire humain. De ce fait, la brillance d’un diamant est souvent liée à la qualité de sa taille. Aujourd’hui, la mise en place d’une « bonne » taille établie comme cité précédemment par la nomenclature de l’IDC semble être la seule à même de révéler tout l’éclat et la beauté du diamant (Ill.6). Pourtant face à cette taille moderne très normée, de nombreux créateurs ont aujourd’hui décidé de revaloriser les tailles anciennes, louant ainsi l’irrégularité des facettes. Alors qu’on les croyait désuètes, les demi taille et taille rose apportent par leur lumière plus douce, une touche de romantisme vintage tout à fait dans l’air du temps. Mais plus encore, loin de tous standards, de toutes conformités, ces tailles anciennes ne donnent-elles pas aux bijoux l’authenticité que nous recherchons tous ?
Les gemmes se transmettent de génération en génération, passent de mains en mains. Les bijoux dont on hérite sont souvent retravaillés, démontés et remontés. Si on change leur structure pour être plus à la mode, on garde l’éclat et le pouvoir mémoriel des pierres afin de conserver la longévité de toute une filiation. Reflets d’un patrimoine passé, pierres et bijoux anciens expriment le charme unique de leur temps et la singulière préciosité de leur époque (Ill. 7). Réouvrez donc vos vieux écrins pour vous parer de véritables pierres de caractères. Peut-être ont-elles encore des histoires à vivre ?
Charline Coupeau pour La Bijouthèque
Docteure en Histoire de l’Art et du bijou – Gemmologue
Spécialiste du bijou du XIXe siècle